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Quelque chose de Molière…

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“Couvrez ce sein que je ne saurais voir” dit Tartuffe à Dorine. C’est le premier souvenir de Molière. Classe de 6e. Des hormones en pagaille et des préados qui se marrent en se demandant bien pourquoi cet imbécile de Tartuffe demande à Dorine de cacher ce sein. La prof les prend au mot. Elle explique ce que Molière veut dire à travers cela. Comment il utilise l’ironie pour se moquer des dévots et pudibonds de son époque qui refusent toute séduction et beauté de la femme. Elle raconte comment, au fond, Molière se moque de l’ensemble des pouvoirs du moment et des Tartuffe, monstres d’hypocrisie, de mensonges et surtout capables de toutes les infamies pour leurs propres intérêts.

Clairement, au moment où la prof raconte cela, les jeunots s’en moquent un peu. Toute l’année pourtant, elle insistera. Nous fera rire de Monsieur Jourdain qui fait de la “prose” où avec les différents personnages de l’auteur qui – tous – sont des outils utilisés par Poquelin pour raconter la farce du monde. Le jour où la prof de Français a dit cela, je me souviens que cela m’a interpellé. Si le monde est une farce à quoi bon ? L’un de mes camarades a posé la question. En souriant, la prof de Français a répondu : “Molière montre les farces du monde. Il caricature pour alerter. Il forge notre esprit critique. C’est cela le message de Molière. Gardons de la distance sur les choses, les honneurs, les égos pour ne pas devenir des Tartuffe, des Harpagons ou des Don Juan sans vergogne.”

Tout cela restait peut-être un peu obscur pour des élèves de 6e, mais la graine était semée. Elle n’allait faire que grandir. Chez les unes et chez les uns. Pour former ce que nous sommes. Car oui, Molière, est une part de notre identité française, bien plus que Jeanne d’Arc d’ailleurs. Autre souvenir, toujours avec cette prof. Quelques mois après l’épisode du sein couvert, elle nous raconta comment Tartuffe déplu au pouvoir royal et comment il fut interdit. Elle nous raconta aussi comment “L’école des femmes” avait choqué en son temps. Et elle nous livra un nouvel enseignement qui valait pour Molière mais aussi, nous dit-elle, pour Voltaire, Sade et tant d’autres. “Pourquoi je vous ennuie sur votre syntaxe, sur le vocabulaire etc ? Parce que l’écriture et les mots sont des armes pacifistes qui peuvent changer les choses.”

L’écriture, les mots comme transgression, comme outil de rébellion, comme moyen de garder de la distance. Peut-être avons-nous traité cela avec un peu de distance à l’époque. Mais là encore la graine était semée. Et comment contredire cette leçon ? Comment même ne pas la transmettre à notre tour ?

Comme un viatique. Comme une philosophie de vie. Rire du monde, ne pas être dupes des faux-semblants, ne pas se laisser gagner par l’euphorie de croire que l’on quelqu’un ou quelqu’une d’important, savoir partager. Et aussi utiliser les mots pour porter “la plume dans la plaie.” Tout cela nous le devons, en partie, à Molière.

 Certainement même que tous les poètes du monde lui doivent cela. Tous ces hommes et femmes qui à cause de leurs écrits sont actuellement emprisonnés. En Égypte, où Alaa El Aswany est interdit de séjour, où le blogueur de gauche Alaa Abdel Fattah  et sa sœur Sanaa Seif ont été ou sont encore retenus par le pouvoir à cause de leurs écrits, au Vénézuela, en Turquie où Ahmet Altan (Prix Fémina Etranger 2021 pour Madame Hayat) a passé cinq ans en prison et où Asli Erdogan est persona non grata. En Iran enfin où l’on lance des fatwas contre des écrivains comme Salman Rushdie, et où est mort cette semaine le poète Baktash Abtin emprisonné par le pouvoir. La liste, malheureusement, n’est pas exhaustive. Tous et toutes ont quelques chose de Molière dans la certitude qu’un mot, une phrase, une caricature, un rire peut parler à quelqu’un ou à quelqu’une quelque part. 

Écrire est une transgression, écrire est une liberté.

Ayons tous et toutes quelque chose de Molière. Le monde n’en sera que plus beau.

Bon dimanche,

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