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Oscillations…

Aaron Burden Kp9z6zcUfGw Unsplash

Mouvement d’un corps qui se déplace alternativement, et plus ou moins régulièrement, de part et d’autre d’une position d’équilibre. C’est la définition du mot « oscillation ». Mouvement de balancier plus ou moins régulier de part et d’autre d’une position d’équilibre. Bouger, donc, pour retrouver l’équilibre. Ce mot, venu, à l’esprit en contemplant des acrobates de rue assis à la terrasse d’un café lors de l’un des rares moments d’accalmie de la semaine, ne l’a plus quitté.

Et de s’interroger. Pourquoi ce mot est-il resté dans la tête. Obligeant à chercher. Obligeant à interroger. Et si cette persistance traduisait un sentiment profond, plus large, d’une oscillation permanente des pensées, des certitudes, des peurs aussi. Alors que l’interrogation était présente, ce qui a occupé l’esprit est la relecture du livre de Stefan Zweig, « Le Monde d’hier ».  Quelques passages s’imposèrent. « Peu à peu, il devint impossible d’échanger avec quiconque une parole raisonnable. Les plus pacifiques, les plus débonnaires étaient enivrés par les vapeurs de sang. Des amis que j’avais toujours connus comme des individualistes déterminés s’étaient transformés du jour au lendemain en patriotes fanatiques. Toutes les conversations se terminaient par de grossières accusations. Il ne restait dès lors qu’une chose à faire : se replier sur soi-même et se taire aussi longtemps que durerait la fièvre. »

Un autre : “ J’ai été le témoin de la plus effroyable défaite de la raison. […] Cette pestilence des pestilences, le nationalisme, a empoisonné la fleur de notre culture européenne.” La pestilence des amuseurs dangereux de la télé du tycoon Breton, la pestilence d’un homme autrefois républicain qui flatte désormais le communautarisme et l’antisémitisme les plus abjects, la pestilence pourrie et fourbe d’une extrême droite qui tente de faire croire qu’elle est différente alors qu’elle n’a changé en rien. La pestilence d’un pays qui se vautre dans ces bêtises.

Encore : “Cette houle se répandit si puissamment , si subitement sur l’humanité que, recouvrant la surface de son écume, elle arracha des ténèbres de l’inconscient , pour les tirer au jour, les tendances obscures, les instincts primitifs de la bête humaine, ce que Freud, avec sa profondeur de vue, appelait “le dégoût de la culture” , le besoin de s’évader une bonne fois du monde bourgeois des lois et des paragraphes et d’assouvir les instincts sanguinaires immémoriaux.” 
Dégoût de la culture. Nous y sommes aussi, tant l’abrutissement issu des logiques algorithmiques semble inarrêtable.

Et toujours : “C’était toujours la même clique, éternelle à travers les âges, de ceux qui appellent lâches les prudents et faibles les plus humains, pour demeurer eux-mêmes désemparés au moment de la catastrophe.”
Oscillations dans les mots des écrivains qui résonnent avec l’actualité. Celle du nationalisme rampant, rejet des autres, à l’inverse du patriotisme qui constitue l’amour des siens. Celle de cette furie populiste, xénophobe et antisémite qui menace de s’abattre sur la France et l’Europe

Furie alimentée par les deux extrêmes de la tenaille identitaire. Osciller entre colère et tristesse. Cela dans une semaine qui verra se dérouler la commémoration des 80 ans du débarquement de Normandie. Oscillations complexes tant le visage de l’Union le 9 juin prochain pourrait trahir profondément les valeurs défendues par celles et ceux qui il y a 80 ans sont venus mourir pour nous. Pour un idéal. Pour une fraternité humaine que les extrêmes à gauche et à droite ont choisi de délaisser pour exalter les peurs, les passions tristes et les haines. Colère.

Oscillations, aussi, des sensations. Entre recherche joyeuse et permanente de la beauté pour lutter contre les ténèbres, et forme de résignation. Chercher la beauté dans les notes si enivrantes de Clara Ysé

« Parle-moi d’amour un petit peu
Fais-moi oublier que dehors il pleut
Dans la chambre nous nous caressons
Toi tu te cambres et moi je fonds
Parle-moi d’amour un petit peu
Fais-moi oublier que dehors il pleut »

Chercher la beauté dans les conversations inattendues, dans les éclosions nouvelles, dans les retours inattendus, et aussi dans les mots de René Char (oui encore lui) qui écrivait dans son poème « Encart » : « Les routes qui ne promettent pas la destination sont les routes aimées. » Jolie oscillation, là encore.

Et de terminer cette pensée.  A propos du brouillard qui obscurcit la possibilité d’un joli futur. Face aux inepties, face aux soutiens hémiplégiques, face à la certitude de ceux qui croient tout savoir et détenir une vérité, face à tous ces imbéciles des routes balisées, sentir jaillir une certitude qui n’oscille plus et s’arrête sur un point d’équilibre : dans les chemins escarpés, dans les actuels inconnus, dans les prémices des amours ou des nouvelles idées se trouvent les planches de salut pour construire l’avenir. A l’échelle européenne, dans la mémoire du 6 juin, et dans la certitude que la vie triomphera des ténèbres que certains sont heureux de faire tomber sur notre monde pour faire prospérer leurs minuscules boutiques dignes des poubelles de l’Histoire. Il nous appartient de les y envoyer. Tout au fond.

Bon dimanche,

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